Fuck Bookstagram – Le Manifeste
C’est une question qui n’est jamais posée mais qui flotte partout, tenace, en tout temps, en tout lieu, en toute occasion. “T’es qui, toi ?”, avec ce mot, ce “toi” prononcé comme s’il sentait mauvais. C’est pourtant de nos bouches qu’il sort, qu’il y a habité, qu’il y a muri et qui tombe du coin de nos lèvres à cause d’un autre. Un autre qui nous juge, pire, qui risque de nous juger et de nous retirer le peu de respect que l’on se prête. Alors, à l’attaque. Voici que l’on se met à compter, tout pareil, le nombre de zéros, le nombre de like, le nombre de follow. C’est un putain de cirque à la frontière du seum et de l’aigreur. Nous sommes un portrait en négatif, la somme des frustrations. C’est l’ère du vide, la glorification du rien. On préfère applaudir la photo d’un livre photoshopé plutôt que de valoriser le travail caché derrière. #bookstagram est un tueur de masse.
On met en avant des publications fantômes, cadavres pourrissants d’une pensée qui n’a jamais existé. On glorifie la vacuité comme si c’était une vertu cardinale : ce n’est qu’un néant intellectuel où le reflet prime sur la profondeur. La mise en scène est millimétrique : le livre-accessoire, abandonné entre tasses vintage, plantes grasses inoffensives et coussins subtilement froissés. Un autel dressé à la médiocrité triomphante. Et les voilà, ces maisons d’édition et leurs écuries d’auteurs en laisse, qui se vautrent dans cette mascarade, distribuant leurs petits cœurs numériques comme des indulgences à cette farce culturelle. Ils jubilent en silence devant ce rien qui arrange tout le monde, cette absence totale de pensée critique qui pourrait faire tache sur le vernis immaculé de leur storytelling corporate. Les plus dociles viennent même commenter le vide par un vide encore plus sidéral, applaudissant le néant comme si c’était du Proust. #TousComplices du meurtre silencieux de la littérature. La littérature a perdu son pouvoir de persuasion. La littérature est devenue une distraction.
Ici, vous ne trouverez pas de jolies photos sépia-pastels-couleurs-chaudes – délicats cercueils esthétiques – ni d’origami alambiqué, encore moins de pétales de fleurs éparpillés comme autant de confettis sur la tombe d’une fête qui n’aura jamais lieu.
Ici, vous ne trouverez pas un copié-collé des quatrième de couverture ou du dossier de presse, régurgité par des bouches qui n’ont jamais goûté la saveur d’une phrase qui change une vie.
Ici, vous n’entendrez pas : “Ce livre a l’air passionnant, qu’en pensez-vous ?” comme un os lancé sans vergogne au Dieu algorithmique du commentaire, prière absconse et vide à la divinité du trafic numérique.
Ici, les livres sont sales, cornés, mal en point, ils portent les stigmates de l’amour véritable, les annotations en marge qui hurlent “j’ai vécu ces pages”. Ils sont blessés parce qu’ils ont été lus, cicatrisés parce qu’ils ont été aimés, défigurés parce qu’ils sont partagés.
Ici, on vous parle des livres, en vrai, sans filtre, sans posture, dans leur splendeur rugueuse et leur vérité nue.
La guerre est déclarée : #FuckBookstagram et leurs milices du Rien.
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